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Laissez-moi être irresponsable, ou j'en meurs

leoapwal69

Il est quatre heures du matin. Je me sens... Très seul je crois. Seul à sommeiller dans les rues de Paris, roulé en boule dons mon duvet la tête dans un bouquin. Sur la porte près de moi c’est écrit “Facilit’rail”, je pense qu’il y a un jeu de mots qui m’échappe. Il est quatre heures onze, et ça fait près de deux heures que je suis là, roulé en boule sur mon coin de bouquin trop près d’un sol mouillé et trop sous un air mouillé. Il est cinq heures, je peux me lever, je peux bouger, ne pas rester, ne plus déranger, ne plus bloquer le passage à ces gens qui s’excusent de me faire me décaler de quelques centimètres pour qu’iels puissent entrer travailler. Il est cinq heures, et je me lève, sans avoir dormi, dans les rues de Paris. Il est cinq heures, et la Gare du Nord m’appelle, parce que je n’ai pas dormi, je suis réveillé depuis vingt-quatre heures malgré tout, mais j’ai mangé hier soir. Mais ça peut pas vraiment être hier puisque j’ai pas dormi. Il est cinq heures trente, et j’ai beau fouiller cette gare je ne comprends rien, on me dit d’aller à celle de l’est, on me dit on me dit, j’y vais et rien n’est plus clair. Il est six heures du matin, je n’ai pas dormi pas mangé, parce que j’ai peur de me faire engueuler si je dors seul dans les rues de Paris. J’ai à peine somnolé, mon corps commence à me mettre de petites claques à l’arrière de la tête pour me dire que quand même j’abuse un peu. Le RER que je dois prendre ne circulera pas aujourd’hui, parce que je suis venu à Paris en pleine grève. Oui je le savais, en théorie, et je me disais “ça passera”. Il est huit heures, je peux prendre un train pour rejoindre copain, je peux prendre un train mais il va trop loin. Je peux trouver un bus mais il faudra en prendre un deuxième, il est neuf heures je crois et je finis par arriver. Il est dix-sept heures, et je dois faire une sieste sinon je m’éteindrai. Il est dix-sept heures, et je m’endors. Il est dix-neuf heures, et je me réveille. Ou bien j’ai dormi de quinze à dix-sept, je ne sais plus. Mais j’ai survécu, et j’ai mangé. C’était sûrement une bonne idée. J’ai même bu un peu d’eau. J’ai tellement peur qu’on me vole ma liberté, en s’inquiétant pour ma sécurité, que je ne tiens même plus les gens informé-es de mes situations risquées. Les gens, les gens, les gens inquiets vont devoir s’adapter. Parce que j’ai peur de me faire engueuler, et que je me mets en danger pour ne pas avoir à dire que je fais encore des choses qui vous font peur, peuvent vous faire peur, peuvent vous donner envie de me crier dessus. Ne criez pas. Non, ne criez pas, ne criez pas, ne criez pas. Si tu me cries dessus, après je fais des bêtises. Alors il faut juste me laisser vivre, me laisser être irresponsable, me laisser exister et faire mes petites bêtises, celles que je maîtrise. Laissez-moi venir même si je sais pas où dormir, j’ai mon duvet et un manteau très très chaud, en plus il est plein d’amour et de souvenirs, je peux pas mourir. Laissez-moi courir, trop vite ou trop longtemps, mais faites-moi boire de l’eau avant ou après. Laissez-moi chanter, même si on dirait que je vais perdre ma voix, parce que je la perdrai pas, je peux pas. Laissez-moi partir en stop ou à pieds, même si c’est dangereux ou pas raisonnable, même si on sait pas, parce que sinon je vais juste faire tout ça sans vous le dire. Et moi, quand je fais ça, j’ai besoin de le dire, sinon j’ai peur de m’endormir sans pouvoir me réveiller. J’ai besoin de le dire, et de savoir que la personne à qui je le dis ne va pas me faire culpabiliser, parce que c’est trop tard c’est déjà fait, ou ne va pas chercher à m’en empêcher, parce que c’est trop tard j’ai décidé j’ai envie. J’existe. J’existe, et j’ai peut§être envie d’exister. Je veux pas mourir, même si parfois j’en ai envie. Je tiens le coup. Je tiens, et je sais que je tiendrai le temps qu’il faudra. Je sais aussi que plus ça durera et plus je serai en sale état quand j’aurai plus à prendre sur moi. J’arrête pas de dire à mes potes qu’il va falloir me maintenir en vie vu que moi je pourrai pas, mais je crois que je laisserai personne le faire. Parce que si j’ai une maison à moi, personne ne pourra y entrer en disant “c’est ma maison j’entre”, ce sera chez moi. Et personne n’a jamais eu les clefs de chez moi. J’ai pas peur de mourir. J’ai peur de laisser des regrets derrière moi, alors que j’aurais pu. J’veux pas mourir tout de suite, je commence même à envisager de dépasser les vingt-cinq ans peut-être. Mais je vais mourir jeune, ça c’est sûr, et m’embêtez pas en me disant que non. Si si, j’vous jure, et c’est pas un drame. C’est bien. Parce que je suis pas conçu pour être un humain qui dure longtemps. Mais j’suis content. Et, vraiment, m’engueulez pas, ça m’empêchera pas de faire mes trucs, ça m’empêchera juste de les faire bien. Oui, ça me fera arriver à Lille et dire “bon, faut que je t’avoue un truc maintenant que je suis là : je sais pas où je dors”, je sais juste que pas chez toi tu vois ? Oui, ça me fera arriver à Paris à une heure trente du matin, sans avoir prévenu personne que j’allais passer la nuit dehors dans un endroit inconnu. Laissez-moi exister.


Je suis un songe. Un mensonge ? Tout me ronge. Je suis une cabane malhabile, de bois tordu, perchée dans les branches frêles d’un saule pleureur, pourri de l’intérieur. Je ne suis même pas un édifice, juste une tentative de bâtisse sur un arbre gangrené. Des bribes de ce refuge instable tombent sans cesse, altérant un peu plus une structure vouée à l’échec. Au milieu des débris éparpillés, je tâtonne à la recherche de branches encore utilisables, pour réparer ce qui ne devrait pas tarder à s’effondrer pour de bon. Il est peut-être temps de changer de stratégie. J’ai construit mes défenses, j’ai imité ce que je voyais. J’ai vu les autres, qui semblaient solides, fort-es, fait-es de pierre dure, sûr-es et fièr-es. Pour les imiter, avec ce que je pouvais, j’ai bâti ce semblant de cabane, pour me réfugier derrière les murs fins. Un bois sec, filandreux, bourré d’interstices, fragile, seul rempart contre les douleurs du monde. Faire semblant d’être comme les autres, à n’importe quel prix. Même si ça signifie me perdre au fond d’un abysse qui m’est étranger. Non, non. Plus jamais. Alors, peut-être, continuer de détruire les vestiges de ce passé terrassant, de briser les sphères de verre sur lesquelles je me reposais, croyant qu’elles pouvaient m’aider quand elles ne faisaient que ronger le tronc de mon existence, ciment de mes idées et fondement de mes angoisses. Les éclats de cristal répandus me transpercent de part en part, de loin en loin, de temps en temps, me réveillant la nuit comme un coup de poignard à l’estomac. Je me suis encore retourné dans mon sommeil sur un tesson de certitude nocive brisée. Reconstruire, sur des bases saines. Laisser tomber la cabane effondrée, soigner le saule, trouver le point d’eau, pour devenir quelque chose de plus beau. J’ai envie de danser, de bouger sans me soucier, me soucier de rien. J’ai envie de danser mes chansons, mes émotions, de danser ma vie comme je la chante et la ris. Je crois que je suis malade. Mais malade de l'intérieur, de ces maladies qu'on ne fait pas passer avec un antibiotique. De celles qui restent, qui s'accrochent, qui s'enroulent autour de la colonne et s'insinuent jusqu'au fond des sinus. Je crois que je suis malade, depuis un bout de temps, et que je refuse de le reconnaître. Cette nausée quasi permanente, qui persiste depuis des mois, des années. Cette envie de vomir ma vie, mon existence, mon corps et mes mots. Cette boule dans ma gorge, cette acidité qui teinte d’amertume ma bouche entière. Oh, bien sûr, c’est pire quand je dois m’adresser à des gens, ou simplement exister à l’extérieur, là où il y en a. Mais cette gêne, cet inconfort, cette douleur souvent, ces fils qui encombrent ma respiration, ces poings qui bloquent le trajet de l’eau quand je tente de l’ingérer, serrant ma gorge pour m’empêcher de continuer, m’empêcher d’inspirer ensuite, les larmes aux yeux, ces doigts qui tirent de l’intérieur pour m’étouffer. Ces pointes qui me vrillent le crâne, ces vis qui perforent mes tempes, ces lumières qui me font mal aux oreilles, ces sons aveuglants qui me donnent le tournis. Cette chaleur, toujours, qui fait déborder mon corps et éclater mes yeux. Certain-es ont les oreilles qui sifflent, moi je les ai qui vibrent, comme mes pupilles quand mon regard se floute, volontairement ou non. Ce poignet qui me lance, se déhanche sans raison, contre mon gré, se courbe ou se verrouille sans crier gare. Cette nuque qui n’a pas de position acceptable, pour qui tout est douloureux, ce dos qui la prolonge sans être plus adapté à l’existence, qui parfois me fait mal à en pleurer, à en vomir presque. Cette jambe fatiguée, toujours contractée, dont le nerf n’est je crois plus pincé mais toujours sensible, ce pied qui chouine sans raison et se bloque, se coince. Ce ventre qui m’envoie des signaux pour que je vomisse, perpétuellement, et hurle sa douleur au monde de plus en plus souvent, parfois me frappe de l’intérieur pour fuir de mon corps, même entre les côtes. Oh, j’en ai d’autres, j’en ai d’autres. Mon nez qui saigne trop souvent, tout seul ou presque, la peau trop abîmée de mon bras qui tire sur mes os, mes oreilles qui apprennent à se casser en brûlant, mes doigts qui se crispent, des muscles au hasard qui se contractent, des pertes d’équilibre, des vertiges, des sensations de coupure ou de piqûre quand je touche un objet, cette douleur quand je mords un cheveu qui s’est égaré jusqu’à ma bouche sans se séparer de mon crâne, ou quand je dois me ronger un ongle parce que rien autour ne peut le réajuster, cette brûlure des vêtements, sensation d’étouffement, les pieds enserrés dans des chaussettes ou des chaussures, cette bulle d’air insupportable au creux d’un oeil et ce bruit, ce bruit assourdissant quand je frotte ledit oeil, mon rapport à la nourriture, mon sommeil, cette fatigue intense qui met une chape de plomb sur chacun de mes instants... Mais, tout ça, ce n’est peut-être pas, finalement, un détail. Peut-être pas de simples détails isolés. Je crois que je suis malade, depuis longtemps, et que je refuse de l’accepter. Pire que les petits inconforts physiques, il y a tout ce qui bouillonne à l’intérieur. Ces souvenirs que je refuse de tolérer. Cette douleur que je refuse d’assumer. Ces regrets que... Je n’ai jamais eu aussi froid. De toute ma vie, je n’avais jamais connu cette température. Ce basculement, en un instant. L’instant où, à l’arrière d’une voiture, pourquoi l’arrière, d’une voiture en marche, tu entends des mots qui n’auraient jamais dû être prononcés, des mots qui s’adressent à toi mais que tu ne peux entendre, parce que ça signifierait... L’instant où tu apprends la trahison, le mensonge éhonté, qui a duré, si longtemps, cet instant où la haine devrait monter, mais il n’y a que ce gouffre, implacable, impalpable, inaltérable, ce froid intense, mordant, qui se répand, dément, et creuse, creuse ton coeur lourd, ton coeur dur. Parce que tu savais, depuis le début. Tu savais, et tu as foncé. Tu savais, et c’est arrivé. Tu savais, et c’était vrai. Ce froid... La bile gèle avant de parvenir à ta gorge, tes battements n’existent plus, chaque muscle est envahi, peu à peu, ta respiration suspendue. tes yeux, ouverts, qui le resteront, surtout ne pas cligner, le temps est figé, tes cils se couvrent de neige, ne pas fermer les paupières, si les larmes montent elles perforeront tout, stalactites aiguisées et meurtrières. Je n’avais jamais expérimenté une telle sensation, un tel vide, à cette température. Je n’ai pas compris, je ne voulais pas entendre. Et, depuis, tout est différent. Depuis, je connais le froid. Trop de mois ont passé, trop d’années peut-être, sans que je puisse me résoudre à accepter ce qui s’est effondré à l’intérieur de moi cette nuit-là. Parce que ce n’était rien, juste une phrase, deux phrases, un détail innocent sur une histoire que je connaissais, un détail que je n’avais pas, un détail qui détruisait toute mon existence dans cette histoire. J’avais vraiment essayé d’y croire, en sachant pertinemment à quel point j’allais avoir mal. Mais je ne pensais pas avoir si froid. Je ne pensais pas qu’il existât un tel froid...


8 décembre-13 juillet-14 janvier 2019.

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