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Anormal

leoapwal69

Pas à ma place. Bizarre, étrange. Pas vraiment là, pas vraiment moi. Anormal, décalé. Je me sens comme une anomalie, toujours. J’entends bien vos paroles, je vois bien où vous êtes. Mon corps semble être à peu près au même endroit, sur le même sol. Et pourtant, je suis à des lieues d’ici. A des lieues de moi, de vous, de tout. J’ai beau regarder, je ne vois que ce qui cloche, je n’arrive pas à comprendre. Je ne sais pas m’adapter à ce que je ne comprends pas, je suis en décalé, je ne sais pas vous imiter. Je ne peux pas être moi, vous ne comprendriez pas. Chaque fois que je crois pouvoir me permettre un peu, on me remet les pieds sur Terre. Quand je commence à léviter, m’apprêtant à peine à m’envoler, on me rappelle combien je suis différent, de tout, de toustes, combien je ne peux l’éviter. Combien je suis incapable de comprendre, de me faire comprendre. Chaque détail, chaque incohérence, est un nouvel éclat, un nouveau tesson sur les ruines de mon coeur. Ton regard surpris, que je ne devais pas surprendre, quand je regarde ailleurs. Votre insistance, face à mon impuissance. Tellement sale, tellement minable. Tes lèvres posées, tes lèvres fermées. J’ai raté beaucoup de choses, j’ai cherché à dissimuler en imitant, à imiter en dissimulant. J’ai encore essayé, j’te jure. J’ai encore essayé, encore foiré. Même quand j’y crois, même quand j’me laisse aller. C’est trop évident, trop énorme, j’avais presque oublié. Je suis là, au milieu de vous toustes, on pourrait découper en suivant les pointillés de mon esprit morcelé. Qu’est-ce que je fais là ? C’est où, ça, “là” ? Qu’est-ce qui chante, qu’est-ce qui danse, quand moi je ne peux regarder ? Pourquoi mes oreilles vibrent en même temps que mes yeux quand je ne comprends plus rien ? Pourquoi ces idées semblent vouloir me happer hors de ma tête, alors qu’elles font exactement l’inverse, m’empêchant de communiquer avec l’extérieur ? Pourquoi vous avez le même prénom ? Pourquoi tout le monde a un prénom ? Pourquoi les gens existent, mais pas vraiment ? Pourquoi je sens pas mon corps comme les autres, pourquoi je suis incapable de le situer dans l’espace ou le temps ? Comment font les gens pour parler quand les mots ne viennent pas, quand “silicium” n’a pas de “y”, quand “cyclamen” n’est pas un diplodocus, quand les palétuviers ne sont pas roses ? Qui a décidé d’autoriser les inconnu-es à croiser le regard de quelqu’un alors que bon personne n’en a envie ? Comment trouver des solutions à des problèmes monstrueux, genre “dois-je mettre de la sauce tomate ou du citron dans mes pâtes au citron” ? Pourquoi ma peau est toujours bizarre, jamais pareille ? Comment la logique peut-elle exister alors que c’est pas logique du tout ? Vous me voyez me faire du mal, vous me dites d’arrêter. Vous me dites que c’est pas une bonne idée, de cramer au soleil ou d’éviter de boire. Pas une bonne idée, de courir jusqu’à l’épuisement quand l’envie m’en prend. Pas une bonne idée, de porter des gens qui font deux fois mon poids, de tordre mes poignets pour voir jusqu’où ils peuvent aller, quitte à me faire mal. Pas une bonne idée, de ramasser des trucs bizarres en pleine ville ou sur une autoroute et de me les fourrer directement dans l’oreille, en les rinçant à peine à l’eau, même quand ils sont deux fois trop gros pour le trou. Pas une bonne idée, de prendre mon couteau et d’ouvrir mon pied pour voir s’il y a quelque chose dedans, ou d’arracher des piquants d’oursin sans jamais désinfecter. Pas une bonne idée, de tout juste rincer à l’eau quand je m’écorche, ou de me gratter jusqu’à faire apparaître de nouvelles galaxies sur mon corps. Pas une bonne idée, de prendre une douche brûlante ou glacée, de rester dans le bain infernal jusqu’à tourner de l’oeil. Pas une bonne idée, de boire le vinaigre directement à la bouteille même quand j’ai pas mangé. Pas une bonne idée, de forcer sur tout, de tester les limites de mon corps, de rester pieds nus dans la neige, d’oublier de respirer, de rester éveillé pour parler à des gens alors que je tiens plus debout même en étant allongé. Pas une bonne idée, de creuser mon bras pour voir comment c’est dedans, ou de taper ma tête contre un mur pour voir si j’peux m’assommer. Pas une bonne idée, pas une bonne idée. Mais je le sais, que c’est pas une bonne idée. Je le sais très bien. Sauf que j’y peux rien, déjà. J’ai besoin de ça. De ces trucs qui me font du bien, sur le moment ou pour un certain temps. De ces trucs qui me font culpabiliser sitôt qu’ils sont vus par d’autres. Quand je reste trois heures en plein soleil, que je ne réagis plus à ce qui m’est extérieur, que je commence à changer de couleur, quand je cuis sans crème solaire ni eau, je me sens bien. Je me sens bien, dans cette papillote au coeur du feu. Je me sens bien, dans mon destin de bacon fumé qui finira dévoré. Je me sens bien, et tant pis si, quand je finis par me relever, j’ai la tête qui tourne, le corps brûlé, les yeux qui pleurent, tant pis si je dois passer trois jours au lit après. Pendant quelques minutes, quelques heures, je me suis senti extrêmement bien, hors du monde. Quand j’arrête, c’est que je me rappelle de l’existence d’autres humains autour, et de l’inquiétude que ça leur causera si je finis par m’évanouir en plein cagnard, de la peine que leur infligerait ma mort par cramage stellaire. Quand je reprends conscience de votre existence, et des conséquences, je souffre. Je sors de mon état second, de mon repos, et je souffre. Alors, quand vous me dites que je ne devrais pas faire ça, croyez-moi c’est bien inutile. Je le sais, que je devrais pas. Que je me fais du mal. Je le sais. Vous croyez que les héroïnomanes ne savent pas que c’est pas une bonne idée de s’piquer ? Que le connard (bisou) qui roule à fond en bagnole et qui adore les dérapages, il le sait pas, qu’il risque d’y rester ? Que les gens qui fument ne savent pas que c’est mauvais pour leurs poumons ? Alors oui, dans le lot, y en a sûrement qui l’ignorent, ou n’en ont rien à foutre. Mais y en a des comme moi, qui savent, qui aimeraient faire autrement, mais en sont incapables. Accro au jus de pomme, j’aimerais vraiment que ce soit si simple, que ce soit qu’à ça. J’viens d’une famille bourrée d’addictions, j’ai grandi avec l’idée que j’serais forcément accro à la came plus tard. J’ai réussi, pour l’instant, à éviter ça. J’ai juste des addictions bénignes, pas dangereuses. Parce que mon corps est un tank, et que j’ai une chance de cocu. J’ai arrêté les trucs qui craignaient vraiment, les dangers réels, je peux pas juste tout arrêter et me dire que ça va passer, que ça ira tout seul. Parce que chaque abandon d’une addiction a un prix, chez moi. De plus en plus lourd. Alors, si j’ai envie de rôtir, de pas désinfecter mes coupures, de mettre ma musique à fond dans les écouteurs, de pas manger avant de risquer l’évanouissement, laissez-moi faire. S’il vous plaît, laissez-moi ma liberté, et ne m’accablez pas de reproches, je culpabilise bien assez tout seul, bien assez en me rappelant votre existence, bien assez en imaginant que vous puissiez ne pas approuver, bien assez en voyant vos regards sans tourner mes yeux vers vous. J’ai pas besoin de critiques en plus, je m’en charge très bien tout seul. Me rappeler que j’ai merdé, ça va juste m’encourager à recommencer. Faire déborder la culpabilité jusqu’à plus pouvoir me retenir. Et sachez aussi que quand j’arrête un truc, parfois le prix à payer c’est tout simplement de le voir revenir en pire. Alors laissez-moi seul juge de ce que je peux me permettre de continuer ou pas, parce que vous ne pouvez pas imaginer ce que ça me coûte. Oui, même si je fais de la merde, même si je me fais mal sous vos yeux, même si j’en rigole, même si ça vous fait mal de me voir comme ça. J’ai pas l’énergie d’écouter, en plus d’imaginer, ce que vous en pensez. Je vais mieux. Je suis en bon état. Je suis vague, je suis brumeux, je suis susceptible et fragile, je rage pour un rien, mais ça va dans une direction qui me convient. Je vais m’en sortir. Mais c’est pas vous qui m’en sortirez. Jamais. Sinon, quand je retomberai, ce sera pire. Aidez-moi, j’en ai besoin, mais sachez que ça ne viendra jamais de vous si je dois arrêter un truc qui me fait du mal, ou aller mieux. Ouais je sais, j’ai pas l’air de savoir ce que je fais, et d’ailleurs j’en ai réellement aucune idée, mais je gère. J’suis qu’un gosse, dépendant affectif, pas du tout autonome, mais je gère s’il le faut. Je gère ce que je veux gérer. Et parfois je décide simplement de pas gérer, je m’autorise à lâcher, parce que ça me prendrait toute l’énergie que j’ai pas et que j’en sortirais en moins bon état, ou n’en sortirais pas. J’suis pas comme mon père, à attendre qu’on s’occupe de moi comme si ça m’était dû, à faire semblant de pas pouvoir faire un truc alors que j’ai juste la flemme. Si j’ai la flemme, je dis que j’ai la flemme. Si j’ai pas le courage, pas la force, si je sais que ce sera dommageable pour moi au final, ouais j’dis que je peux pas, alors que techniquement je pourrais. Si je demande de l’aide, je m’en veux, si j’appelle au secours c’est que vraiment j’ai pas d’autre possibilité. Et si j’dis pas merci, c’est que ce mot m’écorche la bouche, mais je trouve d’autres moyens d’exprimer ma reconnaissance. Oh, jugez pas non plus mon absence de formules de politesse. C’est un truc que je comprends pas, d’autant que ça a l’air encore plus nécessaire quand en vrai tu calcules pas la personne, que t’as aucun respect pour elle, genre les détenteurs d’une quelconque “autorité”. Moi, tout ce que j’en comprends, c’est une grosse hypocrisie, et j’ai pas d’énergie à gaspiller là-dedans. Je ne sais dire mes sentiments qu’en chanson, avec les mots des autres. Des mots qui ne parlent pas de moi, des mots vides que je remplis de ma vie. C’est moi que je mets dans ma voix, c’est moi que j’envoie à la face du monde, caché derrière des mots que je ne comprends pas, mes idées que vous ne comprendriez pas. On dirait que je vis dans une autre galaxie.


23 juillet 2019.

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