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Qui aime

leoapwal69

Au lycée, j’avais trop peur de pas ressembler à mon père

De pas être grand, charismatique, pis de pas être musclé

J’avais trop peur que toute ma vie on puisse pas m’voir comme un mec

Alors une fois majeur, j’ai pris d’la T, t’inquiète j’me suis débrouillé

J’ai eu des poils, mais un peu tard, et pas comme j’aurais voulu

S’piquer l’cul, franchement c’est relou, surtout s’tu vises à côté

Si t’as pas assez mangé, ou tendance aux malaises, bref, j’ai arrêté la T

Un jour j’ai capté, jamais voulu être un mec, je voulais juste être mon père

T’sais, l’gars qui plaît aux mecs hétéros, sont plusieurs à vouloir le pécho

Le mec qu’aurait voulu être une femme, il l’a dit, et il aurait été lesbienne

Moi j’ai toujours su que je l’étais, mais jamais pu le dire, parce qu’un mec lesbienne, hein

Mais fuck les rageux, c’est décidé, j’commence les œstro’, tant pis pour les injec’


Pour aimer, j’ai voulu

Pour aimer, j’ai cru

Mais si j’aime, qui m’aime

Est-ce qu’un jour

C’est moi que j’aime


Au lycée, j’avais trop peur de pas ressembler à ma meuf

De pas être belle, sûre de moi, ou de juste plu’ lui plaire

J’avais trop peur que toute ma vie on puisse pas m’voir comme une fille

Alors j’ai écouté les copains, qui disaient «y t’faut d’plus gros seins»

Paraît qu’le soja c’est bien, et j’ai la technique secrète, là ça y est j’suis parée

J’prends la pilule, j’ai dit contraception, une raison bidon

Mais si j’avais dit l’acné, on m’aurait rien donné, on m’aurait ri au nez, j’ai pas un bouton

Ça fait des mois, j’sais pas si ça pousse, mais j’suis crevée

Et c’matin, un médecin a encore palpé mes deux seins, sans prévenir, avec ses mains fripées

C’est l’deuxième à faire ça sans rien expliquer, sans m’demander, sans même me parler

J’me sens mal, j’me sens sale, j’ai jamais voulu avoir des obus, z’étaient déjà trop gros pour moi

J’ai mal au dos et j’en ai marre de m’enfiler c’truc tous les jours

T’façon ma meuf elle aime les mecs, aussi, pour ça qu’elle est avec moi


Pour aimer, j’ai voulu

Pour aimer, j’ai cru

Mais si j’aime, qui m’aime

Est-ce qu’un jour

C’est moi que j’aime


Au lycée, j’ai entendu parler d’une chouette opération

On t’enlève un truc, et ça y est t’es plu’ un garçon

«C’est ça qu’y m’faut !» j’ai crié, et toute la classe a rigolé

J’avais encore oublié que si pour eux j’suis pas une fille, je serai jamais qu’un garçon manqué

J’ai gardé ça dans un coin d’ma tête, parce que si j’pouvais être une fille, ça m’arrangerait

Ça réglerait tous les problèmes à base de «on peut plus traîner avec toi parce que t’es une fille

Mais tu l’es pas assez pour qu’on t’parle comme aux meufs», j’suis quoi, une guigne ?

Tant qu’on ignore comment j’m’appelle, on sait pas dans quel coin m’ranger

Pis moi, bon, j’ai jamais trop su non plus

Par contre, c’est certain, quelque part sur moi y a un truc en trop ou en moins

Reste à trouver lequel, et quoi en faire

En attendant j’mets du coton dans mes caleçons et mes brassières


Pour aimer, j’ai voulu

Pour aimer, j’ai cru

Mais si j’aime, qui m’aime

Est-ce qu’un jour

C’est moi que j’aime


Au lycée, on m’appelle la pédale ou la folle

Des insultes ou des blagues, je sais même plus différencier

Un jour, pour je n’sais quel pari, on m’a fait embrasser une fille

C’était doux, plutôt cool, mais au fond rien d’plus, je sais même plus son nom

Et depuis, les ados m’appellent aussi «la gouine»

Faudrait savoir, le problème c’est d’aimer les mecs ou les meufs ?

J’suis même pas sûr, moi, de vouloir embrasser des gens

Par contre j’suis sûr que j’préfère leurs insultes

Aux tentatives de mes parents pour me faire entrer dans le rang

Ils insistent tellement pour que j’sois un garçon

Même gay, ça leur va, le souci c’est pas mon orientation

Ils ont trop peur qu’un jour j’leur confirme : j’suis sous œstro depuis deux mois


Pour aimer, j’ai voulu

Pour aimer, j’ai cru

Mais si j’aime, qui m’aime

Est-ce qu’un jour

C’est moi que j’aime


Au lycée, j’ai voulu commencer une contraception, pour un peu aucune raison

Mon mec a pas compris, il a toujours mis des capotes, et pas l’moindre souci

Comme je pouvais pas expliquer, il a cru que j’le trompais, bref il m’a larguée

Comment dire à un gars qu’la simple idée d’un bout d’lui qui grandit en soi est à gerber

Comment lui faire comprendre qu’avoir mes règles chaque mois ça m’donne envie d’me buter

Un an qu’j’ai un implant, on m’avait juré qu’je saignerais moins souvent

Ouais, l’problème, c’est qu’maintenant, c’est permanent, un flux continu

En plus, j’viens d’rencontrer un mec, et ken avec ça tout l’temps c’est chiant

J’sais pas trop comment l’draguer, il est mignon mais un peu coincé

Il me dit qu’il est gay, et moi j’souris comme un con, enfin comme une conne, allez

Il est temps d’avouer que moi aussi j’suis PD

Ça tombe bien, il connaît un truc qui m’réussira mieux qu’ce putain d’implant


Pour aimer, j’ai voulu

Pour aimer, j’ai cru

Mais si j’aime, qui m’aime

Est-ce qu’un jour

C’est moi que j’aime


Au lycée, j’avais trop peur de devoir me changer

La nudité, c’est pas mon truc, à la maison j’fais ça sous ma couette

J’me douche en maillot, y a que dans l’bain que j’me sens bien

L’eau m’enveloppe et me protège, elle est chaude, douce et brillante

C’est comme une seconde peau dans laquelle oublier mon corps

Mais les autres, les autres, c’est une autre paire de manches

Dans les vestiaires, on voulait pas d’moi, ni chez les filles ni chez les gars

Personne savait si j’étais quoi, pas faute d’avoir essayé d’vérifier

Maintenant c’est loin mais j’ai encore partout les marques difformes

De c’que les médecins ont tenté, sans m’demander, pour me rendre conforme

J’ai repris le pouvoir sur mon corps en testant moi-même

Des scarif’, des hormones, des modif’, et des drogues

Aujourd’hui j’ai la fierté de pouvoir avouer qu’enfin, je m’aime


Pour aimer, j’ai voulu

Pour aimer, j’ai cru

Mais si j’aime, qui m’aime

Est-ce qu’un jour

C’est moi que j’aime


25 novembre 2023.

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