Au lycée, j’avais trop peur de pas ressembler à mon père
De pas être grand, charismatique, pis de pas être musclé
J’avais trop peur que toute ma vie on puisse pas m’voir comme un mec
Alors une fois majeur, j’ai pris d’la T, t’inquiète j’me suis débrouillé
J’ai eu des poils, mais un peu tard, et pas comme j’aurais voulu
S’piquer l’cul, franchement c’est relou, surtout s’tu vises à côté
Si t’as pas assez mangé, ou tendance aux malaises, bref, j’ai arrêté la T
Un jour j’ai capté, jamais voulu être un mec, je voulais juste être mon père
T’sais, l’gars qui plaît aux mecs hétéros, sont plusieurs à vouloir le pécho
Le mec qu’aurait voulu être une femme, il l’a dit, et il aurait été lesbienne
Moi j’ai toujours su que je l’étais, mais jamais pu le dire, parce qu’un mec lesbienne, hein
Mais fuck les rageux, c’est décidé, j’commence les œstro’, tant pis pour les injec’
Pour aimer, j’ai voulu
Pour aimer, j’ai cru
Mais si j’aime, qui m’aime
Est-ce qu’un jour
C’est moi que j’aime
Au lycée, j’avais trop peur de pas ressembler à ma meuf
De pas être belle, sûre de moi, ou de juste plu’ lui plaire
J’avais trop peur que toute ma vie on puisse pas m’voir comme une fille
Alors j’ai écouté les copains, qui disaient «y t’faut d’plus gros seins»
Paraît qu’le soja c’est bien, et j’ai la technique secrète, là ça y est j’suis parée
J’prends la pilule, j’ai dit contraception, une raison bidon
Mais si j’avais dit l’acné, on m’aurait rien donné, on m’aurait ri au nez, j’ai pas un bouton
Ça fait des mois, j’sais pas si ça pousse, mais j’suis crevée
Et c’matin, un médecin a encore palpé mes deux seins, sans prévenir, avec ses mains fripées
C’est l’deuxième à faire ça sans rien expliquer, sans m’demander, sans même me parler
J’me sens mal, j’me sens sale, j’ai jamais voulu avoir des obus, z’étaient déjà trop gros pour moi
J’ai mal au dos et j’en ai marre de m’enfiler c’truc tous les jours
T’façon ma meuf elle aime les mecs, aussi, pour ça qu’elle est avec moi
Pour aimer, j’ai voulu
Pour aimer, j’ai cru
Mais si j’aime, qui m’aime
Est-ce qu’un jour
C’est moi que j’aime
Au lycée, j’ai entendu parler d’une chouette opération
On t’enlève un truc, et ça y est t’es plu’ un garçon
«C’est ça qu’y m’faut !» j’ai crié, et toute la classe a rigolé
J’avais encore oublié que si pour eux j’suis pas une fille, je serai jamais qu’un garçon manqué
J’ai gardé ça dans un coin d’ma tête, parce que si j’pouvais être une fille, ça m’arrangerait
Ça réglerait tous les problèmes à base de «on peut plus traîner avec toi parce que t’es une fille
Mais tu l’es pas assez pour qu’on t’parle comme aux meufs», j’suis quoi, une guigne ?
Tant qu’on ignore comment j’m’appelle, on sait pas dans quel coin m’ranger
Pis moi, bon, j’ai jamais trop su non plus
Par contre, c’est certain, quelque part sur moi y a un truc en trop ou en moins
Reste à trouver lequel, et quoi en faire
En attendant j’mets du coton dans mes caleçons et mes brassières
Pour aimer, j’ai voulu
Pour aimer, j’ai cru
Mais si j’aime, qui m’aime
Est-ce qu’un jour
C’est moi que j’aime
Au lycée, on m’appelle la pédale ou la folle
Des insultes ou des blagues, je sais même plus différencier
Un jour, pour je n’sais quel pari, on m’a fait embrasser une fille
C’était doux, plutôt cool, mais au fond rien d’plus, je sais même plus son nom
Et depuis, les ados m’appellent aussi «la gouine»
Faudrait savoir, le problème c’est d’aimer les mecs ou les meufs ?
J’suis même pas sûr, moi, de vouloir embrasser des gens
Par contre j’suis sûr que j’préfère leurs insultes
Aux tentatives de mes parents pour me faire entrer dans le rang
Ils insistent tellement pour que j’sois un garçon
Même gay, ça leur va, le souci c’est pas mon orientation
Ils ont trop peur qu’un jour j’leur confirme : j’suis sous œstro depuis deux mois
Pour aimer, j’ai voulu
Pour aimer, j’ai cru
Mais si j’aime, qui m’aime
Est-ce qu’un jour
C’est moi que j’aime
Au lycée, j’ai voulu commencer une contraception, pour un peu aucune raison
Mon mec a pas compris, il a toujours mis des capotes, et pas l’moindre souci
Comme je pouvais pas expliquer, il a cru que j’le trompais, bref il m’a larguée
Comment dire à un gars qu’la simple idée d’un bout d’lui qui grandit en soi est à gerber
Comment lui faire comprendre qu’avoir mes règles chaque mois ça m’donne envie d’me buter
Un an qu’j’ai un implant, on m’avait juré qu’je saignerais moins souvent
Ouais, l’problème, c’est qu’maintenant, c’est permanent, un flux continu
En plus, j’viens d’rencontrer un mec, et ken avec ça tout l’temps c’est chiant
J’sais pas trop comment l’draguer, il est mignon mais un peu coincé
Il me dit qu’il est gay, et moi j’souris comme un con, enfin comme une conne, allez
Il est temps d’avouer que moi aussi j’suis PD
Ça tombe bien, il connaît un truc qui m’réussira mieux qu’ce putain d’implant
Pour aimer, j’ai voulu
Pour aimer, j’ai cru
Mais si j’aime, qui m’aime
Est-ce qu’un jour
C’est moi que j’aime
Au lycée, j’avais trop peur de devoir me changer
La nudité, c’est pas mon truc, à la maison j’fais ça sous ma couette
J’me douche en maillot, y a que dans l’bain que j’me sens bien
L’eau m’enveloppe et me protège, elle est chaude, douce et brillante
C’est comme une seconde peau dans laquelle oublier mon corps
Mais les autres, les autres, c’est une autre paire de manches
Dans les vestiaires, on voulait pas d’moi, ni chez les filles ni chez les gars
Personne savait si j’étais quoi, pas faute d’avoir essayé d’vérifier
Maintenant c’est loin mais j’ai encore partout les marques difformes
De c’que les médecins ont tenté, sans m’demander, pour me rendre conforme
J’ai repris le pouvoir sur mon corps en testant moi-même
Des scarif’, des hormones, des modif’, et des drogues
Aujourd’hui j’ai la fierté de pouvoir avouer qu’enfin, je m’aime
Pour aimer, j’ai voulu
Pour aimer, j’ai cru
Mais si j’aime, qui m’aime
Est-ce qu’un jour
C’est moi que j’aime
25 novembre 2023.
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