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Esprit volatile

leoapwal69

Un petit garçon jouait dans l'herbe, sous le soleil qui l'entraînait dans de grandes aventures en pays lointain. Alors que l'après-midi avançait, la pluie commença à tomber. Un souffle de vent dérangea ses cheveux déjà en bataille, et la terre commença à imprégner ses vêtements déchirés par tant d'heures de jeu. Dans le brouillard apparut une silhouette, comme enveloppée d'un drap gris. Avançant dans la pénombre nouvelle, la forme se rapprochait inexorablement de l'enfant insouciant. Soudain, un rayon de soleil perça les nuages, éveillant l’œil du garçon, qui leva la tête et aperçut l'ombre face à lui. Il ne cilla pas, à peine surpris de ne pas être seul à braver les flammes d'eau. Il est un temps dans la vie où toute chose semble parfaitement naturelle. Il regarda la vieille femme qui vacillait dans le vent, sans un mot, et elle sourit. "Tu refuses toujours de parler, mon garçon, n'est-ce pas ? Tu sais, je n'ai pas besoin de tes mots pour te comprendre. Viens avec moi, je vais te présenter une très bonne amie." L'enfant sourit à son tour, tendant le bras pour attraper la main décharnée qui se tendait vers lui. Sans une once d'inquiétude, il se leva et marcha au côté de la forme vaporeuse qui le guidait. Arrivés au bord d'une falaise, ils stoppèrent leur marche, et l'ancêtre ôta ses guêtres pour s'asseoir sur la roche herbeuse. Le garçon resta debout, scrutant avec attention le visage amical qui l'accompagnait. "Regarde au loin. Tu vois cette grande lumière ?" Devant ses yeux s'étendait un lac flamboyant, rouge et or, dardant ses rayons irisés vers son visage émerveillé. "Oui, c'est elle. Elle t'attend, tu l'entends ? Elle veut te voir, et elle a besoin de toi. C'est elle, la seule. Elle est là-bas depuis si longtemps... Il faut que tu te souviennes. Je t'en prie, ouvre ta mémoire." Au centre de l'aube céleste, se tenait une ravissante créature de pureté claire. En la découvrant, l'enfant avança, tel un fantôme, à deux pas du gouffre. Un visage pâle, presque translucide, encadré d'une couronne blonde volatile, percé de deux opales d'un bleu tantôt perçant et tantôt doux comme un après-midi de juin. Un voile blanc enveloppait son corps frêle et léger. Un fin trait rose soulignait son nez retroussé. L'aurore de son regard transperça l'âme du garçon, comme le souvenir disparu d'un passé enchanteur; il fixa l'apparition plusieurs minutes durant, avant que la pomme ridée ne le sorte de sa transe d'une voix rauque. "Va la retrouver, cours, mon enfant, cours, elle ne restera plus longtemps... Les vies nous sont comptées, puisque voici vos dernières pensées." Comme s'éveillant d'un long songe bleu, le garçon cligna des yeux, éperdu d'espoir. Comment la rejoindre ? Où la trouver ? "Suis les papillons, ils savent toujours où aller." Avant qu'il aie pu se retourner, la vieille femme avait disparu, en même temps que la pluie qui avait de nouveau laissé place au soleil. Suivre les papillons. Mais oui. Pourtant, quelque chose au fond de lui le poussa à regarder en l'air, comme si la réponse pouvait se trouver dans un cumulus. C'est alors qu'un souffle d'air effleura sa joue, déposant une aile de paillon sur sa paupière. Son regard se tourna alors dans la direction du vent, vers la longue route de terre qui s'offrait à lui. Sans un coup d’œil en arrière, il se lança sur le chemin de sa vie. Pieds nus et en guenilles, le jeune garçon qui ne parlait pas marcha des jours et des nuits sans s'arrêter, sur la pierraille et les épines, sans se soucier de sa chair à vif. En chemin, il cueillait des herbes et des fruits, ramassant chaque insecte ou détritus sans traquer des bêtes vivantes. Il cheminait paisiblement, un sourire béat aux lèvres, tandis que ses pieds rougis s'enfonçaient dans la boue et que ses genoux écorchés s'abîmaient dans les ronces et contres les rochers. Il ne semblait pas s'apercevoir de son état pitoyable, amaigri du haut de ses quelques années, crasseux et transi de froid. Si des gens croisaient sa route, ils s'écartaient de sa puanteur, éjectés de sa trajectoire repoussante. Personne ne prenait en pitié cet enfant misérable, comme s'il n'était qu'une ombre effrayante, un fantôme errant. Suivant son inspiration, il avançait, progressant toujours plus vers son but, s'éloignant de tout territoire connu. Des mois durant, il chemina ainsi, seul, vêtu de loques, mangeant à peine, ne dormant que lorsqu'il tombait d'épuisement. L'enfant grandissait, et avec lui sa peur de ne pas arriver à temps. "Les vies nous sont comptées..." La voix résonnait encore à ses oreilles telle une sentence de mort. Un matin, à l'aube, la mer lui fit face. Barrant sa route, elle le défiait de la traverser. C'est en plongeant ses pieds meurtris dans l'eau salé qu'il senti pour la première fois la douleur de ses écorchures. Reculant sous la piqûre, il grimaça et tourna sur lui-même, à la recherche d'un moyen de vaincre l'eau. Un pêcheur qui passait par là pour commencer sa journée en mer l'aperçut et, inquiet du sort de ce petit bout de chou seul à cette heure, lui demanda s'il avait besoin d'aide. Comme l'enfant ne semblait pas désireux de répondre, il faillit passer son chemin, mais un éclair dans son regard lui fit changer d'avis : tant de volonté dans un si petit corps n'était pas anodin, et sans connaître le but de l'enfant, il lui prit la main et lui proposa de l'aider à se laver. Acquiesçant, il se laissa plonger les mains et le visage dans l'eau, frotter doucement, tandis que le pêcheur prenait soin de ne pas mettre d'eau salée sur les saignements divers. "Ma maison n'est pas loin, on te fera un bon repas et un bain chaud, si tu veux bien." Sans autre forme de procès, ils se dirigèrent vers la chaumière dont la cheminée fumait. Surpris de voir son mari rentrer aussitôt sorti, l'époux du pêcheur remarqua le garçon qui se cachait derrière son manteau et ne posa aucune question. Il sortit de la cuisine, et revint quelques minutes plus tard avec une grande bassine fumante, une brosse douce et du savon. Le garçon regarda avec méfiance, mais se laissa faire tant la chaleur le raffermissait. Le pêcheur confia son protégé aux bons soins de son mari et s'éclipsa pour aller travailler. Il fallut changer l'eau trois fois avant de voir reparaître la peau sous la saleté. Le mari du pêcheur lui servit ensuite une assiette de légumes agrémentée d'un petit bout de viande et d'un grand morceau de pain. Le petit avalait à grandes gorgées l'eau et la nourriture, savourant les vêtements chauds et secs qui l'attendaient à sa sortie du bain. L'homme insista pour qu'il se couche dans un lit moelleux, et ne le laissa se relever qu'après plusieurs heures sans éveil. Ainsi reposé et repus, le garçon robuste put enfin reprendre la route, et le pêcheur entre-temps rentré au logis le conduisit sur son frêle esquif à travers la marée montante. Une forêt s'étendait devant lui, comme un nouveau défi à sa volonté de parvenir au bout du monde. L'image de l'ange pur hantait son esprit, de plus en plus vive et claire, comme s'il approchait peu à peu du but, ou comme un avertissement du temps s'égrenant. D'autres mois passèrent, d'autres cicatrices et faims, d'autres nuits sans sommeil. Un nuage obscurcissait le ciel lorsque l'enfant se perdait, mais aussitôt un coup de vent envoyait valser des feuilles en forme d'ailes de papillons dans la bonne direction. Il courait souvent, quand il voyait le soleil sombrer dans l'eau ou au milieu des arbres. C'est un matin de décembre qu'il réalisa le temps qui avait passé. Un lac gelé lui faisait face, et en voulant le traverser, il aperçut son reflet sur la surface miroitante. Au lieu du visage très légèrement bouffi aux cheveux courts et raides, souvent décoiffés par le vent, il avait face à lui un être tout à fait différent. Son menton était plus large, ses traits plus fins, presque méconnaissables sous la nouvelle couche de crasse qui les recouvrait. Ses yeux, eux, avaient pris une teinte plus terne, comme si ses efforts l'éprouvaient jusqu'à l'épuisement de sa volonté. Ses cheveux avaient remarquablement poussé, ils lui arrivaient au bas du dos en une tignasse herbeuse, comme si plusieurs années avaient passé. A pied, il avait parcouru des milliers de kilomètres, sans s'apercevoir qu'il grandissait. Mais bientôt, il oublia cette vision pour se concentrer sur sa mission. Quelques semaines plus tard, il arriva devant une immense montagne. La paroi était à pic, la roche friable et glissante. Sans hésitation, il en entreprit l'ascension. Ses mains furent vite rouges, ainsi que chaque partie de son corps puisque toutes en contact avec la paroi. Il se vit bientôt forcé de multiplier les pauses et les phases de sommeil, cherchant auparavant de quoi se sustenter, sous peine de chute mortelle. Mais il progressait petit à petit, et le sommet se rapprochait inéluctablement. Il mit encore plusieurs semaines à l'atteindre, un éclat plus perforant l'ayant atteint au genou droit. Lorsqu'enfin il put reprendre son ascension, les derniers flocons fondaient, et le printemps pointait le bout de son nez. Arrivé au point culminant de la protubérance rocheuse géante, il s'accorda quelques jours de repos, ragaillardi par un certain rayon de soleil qui lui disait combien la victoire était proche. Lorsque ses forces revinrent, il se leva, face au vent, et inspira cet air si doux qui lui rappelait la vision angélique de sa tendre enfance. Le courage le reprit, il espéra de toute son âme pouvoir enfin sentir le grand visage de la vérité. Le soir se couchait sur un paysage sublime de montagnes verdoyantes et de vallées fleuries de fleuves, sans qu'il y prenne garde. Ses pieds le menèrent seuls au seuil de la falaise, qu'il contempla comme si le passé était sur le point de se matérialiser sous ses yeux. Puis il se tourna vers le lendemain et décida de continuer sa quête, sentant le but approcher, même si son corps semblait incapable de le porter encore. Il mettait désormais plusieurs heures à parcourir de simples mètres, les heurts trop nombreux l'ayant endommagé trop profondément. Mais, effort après efforts, minute après minute, heure après heure, jour après jour, la distance diminuait, il le savait. La vie l'appelait. Le mois de mai arrivait, et avec lui la consécration de toutes ces péripéties. L'aube se levait à peine sur son corps ensanglanté, il pressentait que la magie ne tarderait plus. Le miracle qu'il attendait se produirait en ce jour de mai, il en avait la certitude. Dans la lumière fantomatique d'un début de promesse, il aperçut la grotte, celle qui abritait l'ange de son rêve, ce décor si familier depuis tant d'années. Brusquement revitalisé, il envoya valser la douleur et tira ses cheveux en arrière afin de voir de tous ses yeux la merveille qui s'offrait à lui. "Le temps mon enfant, le temps fuit..." La sentence résonna à ses oreilles, il se hâta vers l'apparition. Cette clarté blanche, presque diamantesque, commença à l'envelopper lorsqu'il pénétra dans la grotte. Les parois étaient translucides, et chaque endroit du monde y était visible. Mais la lumière provenait du centre, la lumière seule l'intéressait, car il savait déjà ce qu'elle renfermait. Entourée de pétales de lys, son âme sœur l'attendait, protégée du monde extérieur par une barrière de verre. La beauté endormie lévitait à quelques centimètres du sol, bercée par une onde légère, un souffle de vent. Voulant poser la main sur le verre, le jeune garçon s'aperçut qu'il s'agissait en fait d'eau, maintenue dans cette forme par il ne savait quel miracle. Comprenant qu'il ne pourrait l'atteindre sans souiller sa prison, il planta sa main dans le liquide, avant d'y entrer tout entier. La sensation était délicieuse. Comme si chaque fragment de son corps retrouvait sa vivacité. C'est seulement lorsqu'il ouvrit les yeux qu'il aperçut la vieille. Elle se tenait là où il venait de voir sa dulcinée. Qu'en avait-elle fait ? C'est alors qu'il sentit sa chair vibrer, et que son âme lui avoua la vérité. Comment n'avait-il pas deviné plus tôt. La vieille n'avait jamais bougé d'ici, elle n'avait envoyé que son aura. Pour lui signaler, à lui, que sa dernière vie s'achevait. Pour qu'il se rappelle qu'elle était son destin. Son âme sœur. Elle, qui jadis débordait de vie, semblait sur le point de s'éteindre. Il s'étendit à ses côtés et, sans mot dire, installa sa main dans ses rares cheveux. Comme avant. Il inspira une dernière fois, puis se laissa tomber dans le plus pur des sommeils, aux côtés de celle qu'il avait enfin retrouvée. Hors de la bulle d'eau, un papillon se posa. Ses couleurs chatoyantes tranchaient avec la douceur laiteuse de la caverne. Il vit le corps décharné de la vieille, les plaies béantes qui s'élargissaient sur l'enveloppe physique du garçon, il vit leurs âmes qui dansaient sous l'eau, comme si déjà leur vie sur Terre était achevée, qu'il ne restait rien d'eux. "Nous avons réussi, camarades. Ils peuvent à nouveau veiller sur le monde, comme ils l'ont toujours fait." Une nymphe surgit de la bulle d'eau, minuscule et si frêle, aussitôt suivie d'un nuage brillant. Les étoiles entourèrent la nymphe, et le nuage ainsi chargé s'envola vers les étendues célestes, laissant une fine traînée dorée et argentée sur son passage. La vie put alors reprendre son cours, comme au tout début, et depuis l'aube des temps. A compter de ce jour, plus aucun malheur ne toucha la Terre, puisque ses protecteurs enfin réunis avaient repris leur mission. Comme une nymphe et une étoile. Selon une croyance grecque, l'être humain naissait, jusqu'à une certaine époque, doté de deux paires de bras, deux paires de jambes, deux lots d'oreilles, bref, l'être humain était duel. En séparant les deux parties ainsi liées physiquement, les dieux ne purent défaire l'attachement émotionnel qui était le leur. Ainsi, aujourd'hui, chaque humain naît à la recherche de son âme sœur. Parfois en la trouvant ils y renoncent, la mort dans l'âme, et vont chercher plus loin de verts pâturages. Beaucoup la cherchent, peu la trouvent en une vie, certains font tout pour y arriver. Certains y passent leur vie, d'autres l'y perdent... 



5 février 2015.

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