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Enfance

leoapwal69

J’ai mal. Encore. Mal de voir mon enfance s’éloigner, s’effacer. Pas mon enfance actuelle, mais celle que je n’ai pas eue. Celle dans laquelle il se passe des trucs mignons, celle dans laquelle y a une complicité avec un membre de la famille, celle dans laquelle on fait des bisous à quelqu’un en maternelle. Celle dans laquelle... Celle dans laquelle tout le monde est aussi maladroit que moi, aujourd’hui, pour parler de... sentiments, de ces trucs qu’on ressent, de ces mains qui tremblent quand on y pense, de ce coeur qui bat pour un regard, un frôlement. Mon enfance, à quoi elle ressemblait ? Je sais plus. Elle devait pas être si malheureuse, si solitaire, j’avais des ami-es. J’en ai probablement toujours eu. Un ange, même en maternelle... Pourquoi ne suis-je capable de me remémorer que les insultes, les instants difficiles, les pleurs noyés dans l’oreiller, la cour de récré comme un monstre, les autres comme une menace, chaque interaction la panique, chaque geste ou acte l’angoisse d’être maladroit, d’être jugé, taclé, brisé. Pourquoi ne vois-je, quand je me tourne vers les souvenirs, que des regards hautains, ou du moins ce que je peux en percevoir sans lever les yeux, ce que je peux apercevoir dans leur rictus mauvais, je vois leurs pupilles dans leurs lèvres, leur mépris dans leurs épaules, mon malaise dans leurs pieds. Pourquoi n’ai-je gardé de toutes ces années que la haine, la colère, la tristesse, la douleur et les peines, pourquoi n’ai-je pas sauvegardé les bons souvenirs, les jolis sourires ? Ta musique perfore mes tympans et déchire devant mes yeux le voile, entre mes cils serrés s’étendent désormais de vastes plaines enneigées et parsemées de forêts sombres, la lune et les étoiles, si blanches, dans ce ciel, si noir, si clair. Les ombres s’étirent, les frontières s’étiolent, entre air et terre, sol et eau. Le froid, si confortable, si rassurant. Le silence des grandes étendues, des pas feutrés de mon esprit sur la glace. Et soudain, tout s’embrase sous mes doigts, l’eau s’enflamme et danse, danse, danse, jusqu’à la transe de mes cheveux réveillés par ce tintamarre brûlant, cuisant. J’embrasse enfin la chaleur qui bouillonne dans mes entrailles, et la répands sur le sol par mes pieds nus enfoncés dans la neige, dans l’air par mon souffle où pulse mon coeur en brasier. Je n’ai plus peur de cette température qui me rongeait, je fais fondre mon univers pour en forger un nouveau dans les flammes de mon enfer interne, qui s’extériorise. La passion, dans ma voix rauque, remplace la légèreté de ma douceur. Les arbres, désormais incandescents, transcendent leur forme originelle pour donner naissance à de véritables torches dans les étoiles, étoiles rougies par mon regard. La lune elle-même change de couleur, d’odeur, devient rousse et caramélise au soleil de mon sourire. Brasier protecteur, ma cage thoracique laisse enfin échapper un soupir de vie, rancoeur effacée. Tout flambe et s’ouvre à une nouvelle lumière, presque douloureuse. La forêt change de forme, de rigide devient éthérée, de pointue courbée. L’astre lunaire sourit sous sa crinière de feu, d’un sourire qui éveille son regard vert. Le son du bois qui crépite résonne comme du fond d’une grotte torturée. La neige devient rocailleuse, s’envole sur de nouvelles pousses, plus fortes, moins sèches. Les brindilles, toutes consumées, laissent place à l’herbe pleine, rageuse, douce. Les branches s’arc-boutent, ploient sous le poids de feuilles si longues, si brillantes. La lune est presque bleue, froide et brûlante à la fois, comme liquide. La neige fondue en un ruisseau abreuve toute la colline, les arbres renaissent et reprennent un aspect végétal, vivant, puissant, s’élèvent contre l’aube et le temps, passé et présent. Onde cristalline, légère, qui s’écoule entre deux pierres, les fleurs apparaissent enfin. La liberté des bulles d’air, charriées par la pluie horizontale, le murmure des gouttes sur la terre et le cri d’une cascade sur les rochers. La ronde séculaire, l’espoir m’emporte, mes yeux s’ouvrent sur de nouvelles larmes, plus claires. Mes doigts de pieds s’écartent, saisissent des brins d’herbe et des mottes de terre, ma bouche aspire à de plus vastes territoires. Le vent dans mes cheveux, sur mes épaules et mon ventre, le vent sur chaque parcelle de mon corps nu, apaisé, caressé. Le vent emporte mon trouble et mes incertitudes, étire mes lèvres sur un sourire. Mes doigts volent sur l’air, chantent leur joie de respirer, de danser. Ta voix, dans mes songes. La terre, humide, pleine de vie. La terre, abritant tant de secrets. La terre, et son murmure entre mes orteils. La terre m’appelle, me jette contre elle. Salée, sucrée, acide, maintenant presque amère, la terre chaude, fraîche, meuble et morcelée. Un éclat de lune, doré, ruisselle sur les feuilles vieillies, passées. Le chant de l’or dans mon coeur, l’or de tes sourires, de ton regard bleu sur ma peau. L’air, épais, caresse mes cils brillants, repus dans leur contentement. Les buissons rabougris étalent leur ombre sur les cailloux dorés par la nuit profonde. Le brouillard vole, danse, enrôle feuilles et branchages légers dans son manège rauque et rocailleux. Mouvements plus amples, rubans transparents sur marches d’air, plic-ploc le long d’arcades croquantes, lune marron sous un ciel de plomb. Cicatrice crevant le ciel, étoile filante, fil argentée descendant sur la terre. Reflets grisés sur l’onde irisée, gouttes de fer fondu qui se répandent à la surface, couvrant le bol d’une plaque liquide, mouvante. Mes pieds glissent d’eux-mêmes dans cette direction, marchent sur le métal en fusion, si froid. Froid mordant sur mes lèvres, argent en flocons se déposant sur la peau abîmée, tirant un nouveau sourire, humide, la glace l’emprisonne dans une liberté insoupçonnée. Le vent m’est un vêtement, agréable et doux. Plus rien ne m’oppresse, ma poitrine se remplit d’air sans lourdeur, sans difficulté. La plante de mes pieds s’enfonce, légèrement, je sens entre mes doigts courir la surface de cette eau à la consistance différente. Vagues à peine perceptibles ridant l’étendue lisse, je m’avance sous l’astre d’argent, dont les filaments me guident vers des étoiles plus brillantes, au fond du lac. Caresse-moi, attire-moi, entoure-moi, noie-moi dans tes transparences opaques. Mon corps entier vibre de sa respiration lunaire, l’appel résonne, je déraisonne...




J’ai adoré ce film, mais il m’a fait me sentir incroyablement mal. J’aurais aimé en connaître la simplicité douce et instable, à l’époque.










16 décembre 2019.

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