Je me souviens des rires perchés de mon enfance
De mes frangins taquins sur les lits encastrés
Les couvertures en vrac comme une maison d'poupées
Nos cousins ou tout comme dans mon sud de la France
Je me souviens des noms inhabituels et forts
Qui peuplaient les hauteurs de ce monde hors du temps
La poussière et les feuilles soulevées par le vent
Les jeux, les cris de joie qui résonnent encore
Je me souviens des balles remplies de poudre blanche
Qu'on pouvait écraser ou lancer dans la pièce
La fenêtre fragile, adolescences en liesse
Et moi, gamin débile agrippé à la branche
Je me souviens des lits et des murs en bois clair
De cette ampoule nue répandant sa lumière
Des moustiques voraces saturant l'atmosphère
Des plus grands allongés sur les matelas en l'air
Je me souviens du toit aux ardoises brûlantes
Que nous escaladions au coeur de la montagne
Des voisines frangines qu'étaient pas d'la campagne
Deux copines pour le jour, deux gamines amusantes
Je me souviens d'une chambre immense sous les toits
Le domaine des enfants, des jouets et des chats
Un hamac bleu et blanc oscillait en pacha
Pour suspendre le temps entre les poutres en bois
Je me souviens des vieux, des adultes en pétanque
Des règles compliquées pour savoir qui picole
La fumée de leurs clopes qui prenait son envol
Les volutes toxiques, et l'absence du manque
Je me souviens des fleurs, et puis des champignons
De la forêt touffue aux odeurs rassurantes
Sombre quiétude fanée de cailloux et de plantes
Fées et lutins riaient, ingénus compagnons
Je me souviens du sol et de toutes ces pierres
De la lumière chantante tombant d'un ciel clément
De ce bouquet d'orties où je plongeai gaiement
Pour ne plus me piquer qu'aux rochers des rivières
Je me souviens des rires, et de l'alcool, toujours
De longues soirées de veille et de visages rouges
Le plancher, tous les meubles, et le bois que l'on bouge
Tant de barbes et moustaches, grands pirates au long cours
Je me souviens des heures et des routes en lacets
Des vieilles maisons de pierre dans ce trou de verdure
Je pouvais respirer, perdu en pleine nature
Loin du temps, hors du monde, près de la liberté
Je me souviens d'ailleurs, de ce taudis peuplé
Aux murs nus et crasseux, aux vieux fourneaux graisseux
Tout était lumineux, mais en jaune et poisseux
L'habitant paresseux n'était jamais gelé
Je me souviens des blagues qui remplissaient les nuits
Du silence disparu dans ce lieu convivial
Où les cris et les rires dansaient dans l'air jovial
Pour nous faire oublier saleté et ennuis
Je me souviens des portes, de ces espaces vides
Un battant arraché, ou bien brisé en deux
Un autre remplacé par un rideau miteux
Rien ne fermait à clef et rien n'était solide
Je me souviens des vitres aux jointures qui craquaient
Quand on chantait trop fort ou quand le vent soufflait
De la fumée épaisse, cendres qui m'étouffaient
Cigarettes et pétards, pourtant je m'en foutais
Je me souviens du bruit et des odeurs odieuses
Qui découpaient la nuit en tranches d'opiacés
Air épais et pâteux aux reflets jaune passé
Irisé de picole aux vapeurs sirupeuses
Je me souviens de l'eau et de la douche éteinte
Robinets capricieux contre mes mains d'enfant
De la chambre étriquée où aucun éléphant
Ne brisa la vitrine de mes trésors qui tintent
Je me souviens du jour absorbé par le mur
Trop épais, avalant la fenêtre minuscule
Pièce sombre où dormir, les étés ridicules
Liberté illusoire sans placard à chaussures
Je me souviens de tous ces repas délicieux
Préparés en vitesse dans la lumière orange
Pâtes au beurre ou purée en sachet que l'on mange
Sur le pouce, sur le fil, coincé entre deux vieux
Je me souviens d'un lieu à l'atmosphère sordide
Violence, conso sauvage, un gosse en plein guêpier
Remugles de danger que j'feignais d'ignorer
Pour pouvoir croire encore à l'illusion putride
Je me souviens du sang étalé sur le sol
Parsemé des vestiges d'une bouteille fracassée
Sur un crâne importun, belle journée d'été
Les adultes bourrés, les enfants qui s'affolent
Je me souviens de leurs discussions endiablées
Débats houleux ou bien partage de passion
Vies broyées, morts hâtées, tourbillon d'émotions
Paroles précises et crues pour oreilles écorchées
Je me souviens du cul abordé comme les fringues
Des copains déchirés, des copines déprimées
Les joues gonflées, la rue, la crasse et les camés
Joyeuse chevauchée parmi les monstres, les dingues
Je me souviens des lignes et des cartes bancaires
Des briquets, de l'alu, des graines et des poudres
Des cachets, des aiguilles, du sang et des coups d'foudre
Des épaves bavantes qui se vautrent par terre
Je me souviens des heures à la fenêtre ouverte
Dans des voitures pourries pour passer la frontière
Pieds au vent, cheveux fous, sur la banquette arrière
Ou planqué dans le coffre, un soir en pure perte
Je me souviens des cris, du four jeté par terre
Par un pote en colère, dispute trop vivante
Rage vivace ou fugace, altercation violente
Scène un peu trop courante dans le vivier du père
Je sais bien que mes frères ont dû y exister
Je me souviens de la sensation d'leur sourire
Mais pas moyen de mettre la main ou bien le pied
Sur le moindre moment, le moindre vrai souvenir
16 août.
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