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Flou

leoapwal69

Je suis fou.

C'est pas une façon de m'insulter, pas une exagération. Un simple constat : je suis fou.

Une réponse partielle, peut-être, à la grande question du "qui suis-je". Une appartenance à une certaine communauté, un point de repère dans la brume et un repaire au moins un peu rassurant parmi toutes ces incertitudes.

Je suis fou, et mon visage de ce soir aurait fait un bon masque d'Halloween. Mais c'était mon visage. Je l'ai vu, même si je ne vois presque plus. Je l'ai senti, même si je n'existe presque plus. Je l'ai vu, même si plus rien n'a le goût de leur réalité.

Je suis fou, et je ne suis pas comme elleux. Je ne sais plus parler leur langage, je n'ai jamais vraiment su. Je me suis perdu à essayer de les imiter, de les comprendre, de leur parler. Aujourd'hui je ne sais pas qui je suis, mais je sais que je ne suis pas des leurs, que je n'ai pas ma place dans leur monde. La réalité est un miroir fissuré, dont chaque fragment se croit seul et vrai et réel. Leur réalité en est un parmi les autres, un qui s'impose un peu plus fort ou à plus de gens, un qui reflète peut-être un peu plus nettement.

Je suis fou, et si j'ai tenté de le nier pour les autres, de le cacher pour me préserver d'elleux, si je l'ai craint, si j'ai protesté et jeté les mots contre le mur, si j'ai hurlé et pleuré et tapé contre cette idée, finalement c'est là que je me sens le mieux, que je me sens le plus "moi", le plus "là".

Je suis fou et j'ai mal. Horriblement mal. Mon visage me fait peur, mes pensées me font peur, mes actes et non-actes me font peur, mon corps me fait peur, mon passé me fait peur... Le futur n'existe heureusement pas. L'extérieur m'intéresse de moins en moins, et l'intérieur m'apparaît de plus en plus dévasté même si je fais tout pour ne pas le regarder en face. Ce reflet dans le miroir, je l'ai vu, je l'ai reconnu. Ce n'est pas mon visage que j'ai reconnu, mais une marque que j'ai déjà trop connu, inlassablement effacé, et toujours fini par retrouver. Le goût des larmes sirupeuses a peut-être changé, mais il ne me trompe pas.

Je doute de tout, je doute de moi. Je doute de mes souvenirs, de mes certitudes,de mes douleurs, de mes perceptions. Je doute de mon corps, de mes mains, de mon rire. Parce que les autres disent exister, et moi, et moi...

Moi, j'ai dans la tête des souvenirs très précis de gens qui ne sont pas moi, de sensations qui n'ont pas pu exister, ces pensées et ces voix qui ne sont pas les miennes mais me sont familières, à force. Ce monde, cette vie, c'est normal. Même si ça n'existe qu'à l'intérieur de mon crâne. Mais j'ai du mal à différencier les choses que j'invente volontairement, mon imagination galopante, et les choses qui s'imposent un peu contre ma volonté.

Parce que, quand je réfléchis aux choses, je me retrouve face à ce trou béant, cette incertitude qui ronge tout, ces souvenirs de plus en plus flous. Est-ce bien moi qui ai inventé toustes ces ami-es pour me sentir moins seul, est-ce bien moi qui ai décidé de leurs noms, de leurs âges, de leur apparence, et ont-iels globalement disparu, peu à peu remplacé-es par de nouvelles créations, de nouvelles entités pour me protéger, ou ai-je simplement tenté d'enterrer ce que je ne pouvais nommer ? Est-ce bien moi qui ai tout géré, ou les choses se sont-elles faites malgré moi ? Ai-je bien créé toutes ces images, toutes ces scènes, toutes ces personnes ? A quel point ai-je le contrôle sur sa main qui se pose sur mon épaule quand je nage en pleine détresse, son sourire qui m'apparaît sur le paysage qui défile lors d'un trajet en voiture, sa voix qui me rassure quand je me noie ou sa chaleur qui m'empêche de sombrer, ou son rire de gosse qui explose mes lèvres, ou ses yeux noirs qui me transpercent, ou sa haine de chacune de mes actions, ses insultes pour me mettre plus bas que terre, ces colères et disputes entre nous, ce sentiment écrasant que je ne peux pas lutter... et elle que je veux protéger, elle qui n'a rien demandé, elle qui peu à peu s'est noyée, elle si fragile, si jeune, si innocente, et lui si imaginatif, peut-être plus jeune encore, si vif, si enjoué, que j'ai dû brider tant de fois et qui n'en garde même pas de rancune, et toustes ces autres qui pullulent, pullulaient, qui ont rythmé mes jours et mes nuits...

Je ne comprends pas. C'est normal, de rêver à la troisième personne, ou de voir ses souvenirs de l'extérieur. C'est normal, de parfois voir à travers ses propres yeux comme en décalé, comme si la place était déjà occupée ou comme si je ne pouvais pas me placer correctement parce que ce n'est pas mon corps. C'est normal, de ne pas reconnaître mes mains, de les voir et de *savoir* que ce doivent être les miennes puisqu'elles sont accrochées à moi et au même endroit que d'habitude, qu'elles ont exactement la même tête que d'habitude, mais de ne pas les *sentir* comme les miennes, de les voir bouger sans comprendre. C'est normal, de nommer les différentes parties de moi comme des personnes, de parler de moi à la troisième personne, de répondre à des choses que les gens autour n'entendent pas, de parler dans ma tête comme par ma bouche ou l'inverse. C'est normal, d'avoir des potes imaginaires, tout le monde en a. C'est normal, d'inventer toute une équipe pour jouer avec moi, parce que personne hors de ma tête ne joue avec moi. C'est normal, de m'expliquer à voix haute alors que je suis seul, de me justifier même dans ma tête, d'avoir des trous de mémoire ou de lire mes textes sans aucun souvenir de les avoir écrits. De lire des messages sans aucun souvenir d'en être l'auteur, sans même en comprendre le sens. De croiser des gens qui me reconnaissent alors que je n'ai aucune idée de leur existence, voire que je suis convaincu de ne jamais avoir croisé leur route. C'est normal, d'avoir un problème avec la façon dont on m'appelle, de régulièrement ne pas me reconnaître même quand je choisis moi-même le prénom que je donne, de ne pas savoir pourquoi. C'est normal, de ne pas savoir comment je sais un truc, de ne pas me souvenir de choses qui me sont arrivées, d'entendre des gens parler mais de ne rien saisir. C'est normal, cette mémoire complètement aléatoire.

Pourtant, en écoutant les autres j'ai la sensation que, peut-être, tout n'est pas si normal. A force, j'ai l'impression que, peut-être, il y a quelque chose à trouver, ou quelqu'un.

Alors dis-moi, pourquoi j'ai peur ? Pourquoi je n'en parle pas ? Pourquoi je m'attends à ce qu'on me traite de menteur, alors que c'est ce que je vis ? Pourquoi j'ai peur de m'inventer une vie, alors que je n'en ai pas ? Pourquoi je n'en parle pas ? Pourquoi je ne dis pas à ma psy que j'ai des doutes, des suspicions ? Pourquoi je m'attends à ce qu'elle ne me prenne pas au sérieux, ou me dise "c'est normal, c'est l'autisme" ?

Pourquoi je n'en parle pas ?

Pourquoi je n'arrive pas à dire "hey, je commence à me demander si je suis réellement seul dans ma tête, si c'est réellement moi qui invente des personnes pour me sentir moins seul, si c'est réellement moi qui crée un univers factice volontairement, puisque je n'en contrôle presque rien", et à demander de l'aide pour tout démêler ?

Est-ce que le simple fait de lire des témoignages sur ce que vivent les personnes multiples peut complètement métamorphoser tous mes souvenirs sans que je m'en rende compte, et faire surgir des évènements qui n'ont en fait jamais eu lieu dans mon esprit, au point que je sois convaincu, preuves à l'appui, d'en avoir déjà parlé il y a cinq ou six ans ? Est-ce que je peux inventer des messages datant de 2015, puisque je suis le seul à les lire (enfin, à les lire aujourd'hui) ? Est-ce que je peux être à ce point dépassé, à ce point perturbé, pour croire lire des choses qui en fait ne sont pas là, ou sont autres ? Est-ce que c'est juste la fatigue, l'épuisement qui me fait délirer, ou la douleur peut-être ?

Pourquoi je n'en parle pas ? Pourquoi j'ai honte de simplement y penser, alors que tout ça est bien présent dans ma vie, puisque je me suis construit autour ? Pourquoi mes mots semblent-ils ceux de quelqu'un d'autre, si souvent ?

Pourquoi c'est si dur d'en parler ?


You're crazy, leave me alone.

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